Bereket Simon : l’avenir de l’Éthiopie à l’ère de la Nouvelle route de la soie

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Bereket Simon : l’avenir de l’Éthiopie à l’ère de la Nouvelle route de la soie

Voici la transcription et la video de l’intervention de M. Bereket Simon, PDG de la Banque commerciale éthiopienne et conseiller du Premier ministre, lors de la conférence internationale de l’Institut Schiller des 25 et 26 juin 2016 à Berlin

L’avenir de l’Éthiopie à l’ère de la Nouvelle route de la soie

Mme Helga Zepp-LaRouche,
représentants des gouvernements et des différentes institutions,
Chers amis, Mesdames et Messieurs,

C’est un honneur et un plaisir d’être ici à Berlin. Tout d’abord, je voudrais remercier l’Institut Schiller pour m’avoir invité à prendre la parole sur l’importance du Développement économique de l’Éthiopie dans le contexte de la Nouvelle route de la Soie terrestre et maritime et la Grande région d’Afrique.

Ce terme Route de la Soie est une référence à l’ancienne route commerciale, mais ce qui m’intéresse aujourd’hui est, bien entendu, de mettre en relief l’incarnation actuelle de ce projet dans le contexte global qui est le nôtre. Selon tous les récits, l’ancienne route de la soie a joué un rôle vital en tant que route commerciale très empruntée s’étendant de la Chine au Moyen Orient, et y compris aux rives de la Corne de l’Afrique.

Comme son ancêtre, la nouvelle Route de la soie rayonnera à partir de la Chine et chevauchera une vaste partie du globe, ouvrant les opportunités pour un niveau sans précédant d’échanges transfrontaliers de biens et de services. Je suis persuadé, que la nouvelle Route de la soie non seulement donnera un coup de fouet au volume d’échanges des marchés émergents, mais élargira aussi leur interaction économique.

Cependant, dans le contexte des changements des variables de la mondialisation, des pays du secteur en développement comme le nôtre en particulier, ont besoin d’accentuer leur compétitivité afin de pouvoir bénéficier du type de connectivité qu’amènera la Route de la Soie. Pouvoir accentuer notre compétitivité commerciale est lié à la construction d’une économie forte, qui, à son tour, dépend des capacités de notre pays de concevoir et d’appliquer des politiques et des stratégies qui nous sont propres, étant donné que les ingrédients clé du développement ne peuvent pas être importés ou dictés de l’étranger.

C’est clair que le problème de la plupart des pays de notre continent n’est pas un manque de ressources en tant que tel. Le plus grand défi se trouve dans notre faible capacité d’élaborer et d’appliquer de façon soutenue ces politiques et ces stratégies sans lesquelles aucun pays émergent ne peut effectivement saisir les opportunités qu’offre une connectivité globale, réduire leurs effets négatifs et exploiter les bénéfices de la Route de la soie moderne.

Donc, au risque de rater la dernière vague de développement, la génération actuelle de responsables politiques africains doit enterrer l’héritage de la dépendance sur l’aide étrangère, même si une assistance extérieure, lorsqu’elle est correctement séquencée et allouée, a été utile. À la place, les dirigeants africains feraient bien d’utiliser correctement leurs propres ressources et avoir l’ambition de rattraper les pays industrialisés à revenus moyens afin de pouvoir jouer un rôle à leur mesure dans l’économie mondialisée.

Après avoir dit cela, prenant comme point de départ la situation africaine en général, je reviens sur la situation mon propre pays, sur lequel je connais une ou deux choses.

Je crois que certains d’entre vous savent que l’Éthiopie a été autrefois une civilisation ancienne splendide, et lui ont survécu les deux institutions interdépendantes de l’État et de la religion.

Les écritures de ces périodes anciennes témoignent de l’histoire longue et fascinante de l’interaction de l’Éthiopie avec les civilisations de la grande région méditerranéenne, indienne et possiblement chinoise.

Cependant, durant le siècle qui vient de s’écouler et surtout durant la dernière moitié du XXe siècle en particulier, l’Éthiopie est entrée dans une période prolongée de stagnation, suivie d’un déclin profond qui a continué jusqu’au début de ce siècle. L’échec des régimes successifs d’accommoder la diversité ainsi que leur incapacité de répondre aux aspirations des peuples d’Éthiopie ont contribué de façon majeure à la spirale descendante de son recul.

Bien que, tout le long de ces siècles, l’Éthiopie a réussi à maintenir et de défendre son indépendance d’agressions étrangères, le pays a raté la grande transformation globale. Alors que les États avec lesquels historiquement nous nous mesurons ont connu des transformations majeures, notre pays est resté embourbé dans la stagnation comme en témoigne la sécheresse à répétition, la famine et les rivalités internes.

Les effets cumulatifs de plusieurs siècles de stagnation sociale et économique ont tristement aggravés la situation au point que l’État est tombé en déliquescence lors du régime militaire qu’a ravagé le pays entre 1974 et 1991. La politique d’économie administrée de la junte militaire, de pair avec la politique de répression contre les revendications nationalistes d’autonomie politique a conduit le pays à la ruine.

Après la chute du régime militaire en 1991, la coalition de l’EPRDF a fait de la paix et de la réconciliation sa première priorité. Avec un sens de l’urgence, la direction du pays a concédé des efforts énormes et a réussi à stabiliser le paysage politique polarisé d’une Éthiopie post-conflit par une conception radicale de l’institution de la gouvernance. Le bonus, je le dis avec fierté, c’est le système constitutionnel fédéral qui offre des droits démocratiques fondamentaux à tous les individus et groupes.

Une fois qu’une paix durable fut assurée, la direction du pays s’est penchée sur la tâche toute aussi urgente de sortir de l’héritage d’une économie administrée et les barrières institutionnelles qu’elle avait érigées. Cette mesure immédiate a libéré le marché d’une interférence contreproductive de l’État et a permis des taux de croissance d’environ 5 % par an durant les premières douze années.

Cependant, dans l’ère post junte militaire, il apparaissait pour la direction éthiopienne, sous la direction du Premier ministre Meles Zenawi, qu’une croissance annuel d’un chiffre était inadéquat pour faire face aux problèmes d’un pays à forte croissance démographique.

Ainsi, la grande question que la direction devait immédiatement prendre à cœur à cette époque c’était de savoir quelles politiques et quelle stratégie pouvaient possiblement accélérer la croissance d’un pays sous-développé et ravagé par la guerre avec une économie de marché naissante et un tout petit secteur privé ?

A cette époque, les pays en voie de développement n’avaient pas pu disposer d’assez d’espace pour formuler et mettre en œuvre des politiques autres que celles prescrites par le Consensus de Washington. Néanmoins, l’Éthiopie, dès le début, a défié ces recettes politiques fondées sur la sagesse conventionnelle qui prétend qu’une politique qui est bonne pour un pays, l’est forcément pour tous les autres, et a opté de formuler sa propre politique sur la base de la réalité objective du pays.

En effet, nous en Éthiopie, avons dès le début considéré la pauvreté comme notre plus grand ennemi avec lequel aucun compromis n’est possible. Cependant, nous étions également convaincus, que, dans un pays comme le nôtre, où le marché et le secteur privé sont dans une étape rudimentaire de développement, aucun effort pour traiter ce problème fondamental ne pouvait réussir, sans le rôle propre de l’État. C’est sur la base de cette conviction que ces dernières 25 années, nous nous sommes engagés à promouvoir et défendre notre voie économique nationale, qui donne à l’État un rôle prépondérant pour fixer la vitesse et la direction du développement de l’Éthiopie. Or, la voie que nous avons choisi permet aussi bien pour le secteur public que le marché de jouer un rôle complémentaire dans la création de la richesse nationale par un partage relativement équitable.

Contre les réticences des lobbies néolibéraux, notre réponse initiale à la tâche gigantesque de lutter contre la pauvreté se trouvait dans la politique, dirigée par l’État, du développement de l’agriculture. Ceci vient du fait que l’agriculture, et en particulier les petits exploitants agricoles, forment la colonne vertébrale de notre économie dont la majorité de la population tire sa subsistance.

Bien que notre deuxième Plan vise à jeter les bases d’une transition économique accélérée par le développement du secteur manufacturier, nous continuons à investir dans les petits exploitants agricoles comme le vecteur principal de notre croissance économique. En dépit des graves sécheresses qui occasionnellement réduisent notre production agricole, comme cela s’est produit en 2004 et lors de la dernière saison de récoltes, nous avons réussi à augmenter notre production agricole d’environ 7,5 millions de tonnes métriques à plus de 30 millions de tonnes métriques en 2014.

Une production plus ample a permis à notre nation d’affronter en 2015 les ravages de la sécheresse provoquée par El Nino qui a plongé des millions d’Éthiopiens dans le besoin d’une aide alimentaire d’urgence. Le fait qu’aucune aggravation de la mortalité en lien avec la perte des récoltes, je crois, reflète la capacité de résilience de notre secteur agricole d’absorber des catastrophes naturelles.

Le changement climatique est sans doute un des plus grand défis de notre planète. C’est pourquoi seule une réponse internationale peut en atténuer les effets terribles, en particulier dans les pays fortement dépendant de l’agriculture. Pour faire notre part du travail, nous avons déjà mis en place un Programme économique climatique de résilience verte qui rend notre pays moins vulnérable aux caprices du changement climatique. Nous sommes fiers que chaque année qui passe, des millions de ménages agricoles investissent leur énergie dans des projets de préservation de l’eau et du sol dans tout le pays. C’est une des raisons pourquoi l’Éthiopie a pu résister aux effets de la sécheresse engendrée par El Nino.

Ce n’est donc pas par hasard que l’Éthiopie est aujourd’hui cotée comme une des économies ayant le meilleur taux de croissance économique et harmonieuse d’Afrique. L’Éthiopie a alloué 70 % de son budget à des programmes pour les plus démunis, comme l’éducation, la santé, l’agriculture et la sécurité alimentaire, ce qui a permis d’obtenir une croissance économique moyenne de 10,6 % ces treize dernières années.

Nous sommes cependant les premiers à nous mettre en garde contre le danger d’autosatisfaction et nous n’oublions pas qu’un tel taux élevé ne fait qu’indiquer que nous sommes partis de très bas. En tout cas, notre croissance fulgurante, nous permet d’espérer et d’avoir confiance en notre capacité d’atteindre les objectifs envisagés par notre ambitieux Deuxième plan pour la croissance et la transformation (GTP II).

Alors que nous avons donné la priorité absolue à l’agriculture dans la dernière décennie, l’Éthiopie se prépare également à un développement industriel rapide. Dans ce but, nous avons lancé un programme massif pour la création des TPE et les PME/PMI ainsi qu’en faveur de l’agrandissement des entreprises de taille intermédiaire et l’industrie lourde. Nous avons lourdement investi dans les TPE et PME avec un retour social élevé au niveau de la réduction du chômage. Comme dans beaucoup de pays en développement où le nombre de jeunes constitue la majorité de la population, la création d’emplois et l’accès à l’emploi aux femmes sont des questions majeures pour l’Éthiopie.

L’investissement dans les TPE et les PME/PMI comme piste de décollage d’un développement industriel n’a pas seulement soulagé la pauvreté d’un degré appréciable. Cela a également fait naître une classe moyenne d’une taille considérable et un milieu d’affaires disposant d’assez de capital pour investir dans un secteur manufacturier et des services croissant éthiopien.

Le développement social est d’une importance toute aussi grande si l’Éthiopie continue le rythme qu’elle a initié. Or aujourd’hui, 28 millions de citoyens vont à l’école dans un cycle ou dans un autre. Ceci est l’équivalent de toute la population d’une vingtaine de pays africains dont le nombre d’habitants ne dépasse pas les 4 millions.

À cela s’ajoute, qu’avec notre programme phare en faveur de la santé de base, nous avons déployé près de 40 000 travailleurs de santé dans tout le pays lors de la dernière décennie. Ainsi, l’Éthiopie a su réduire la mortalité infantile de près de 30 % depuis cinq ans. La proportion de jeunes vivant dans des conditions de pauvreté abjecte a été réduite de près de 35 % ces dernières quatorze ans. Comme résultat, l’espérance de vie à la naissance est passée de 45 ans en 1991 à 64 ans en 2015. Cela témoigne, je crois, de l’efficacité de nos politiques de développement en direction des pauvres mises en place par feu l’ancien Premier ministre Meles Zenawi.

Dans cette lignée, l’Éthiopie a décidé de promouvoir le secteur privé comme le moteur du développement industriel de l’Éthiopie. Un aperçu sur la rénovation visible de nos villes, une compétence assurée par le programme de rénovation urbaine dirigé par le secteur privé naissant, suffit pour comprendre le rôle important que jouent les entrepreneurs dans notre développement comme un tout aujourd’hui. Sans ce rôle pivot du secteur privé, la croissance rapide actuelle serait restée un vœu pieux.

A l’époque de la mondialisation, l’investissement du secteur privé si indispensable pour une économie compétitive, dépend de toute évidence de la disponibilité et l’élargissement de l’infrastructure physique. Aujourd’hui, la plupart des grands projets se trouvent en Éthiopie. Le grand barrage éthiopien de la Renaissance (GERD), un des plus grands d’Afrique, produira 6000 MW d’électricité lors de sa mise en fonction, et le réseau ferroviaire en construction, couvrant les axes nord-sud et est-ouest du pays, en sont deux bons exemples. Le fait que chaque année quelque 70 000 étudiants sortent de nos universités avec des diplômes d’ingénieur ou une formation scientifique, contribue amplement au développement de nos industries.

Ainsi, bien que marquée de difficultés multiples, l’Éthiopie a su cultiver des relations bonnes et pacifiques avec la plupart des pays de la corne d’Afrique. Le fait qu’on a lancé quelques projets infrastructurels avec le Kenya, Djibouti, le Soudan et le Soudan-Sud aura sans doute un impact beaucoup plus large en termes d’esprit coopératif au service d’une intégration économique meilleure.

Il serait cependant une erreur, de sous-estimer les problèmes encourus pour maintenir des relations diplomatiques et commerciales dans la corne d’Afrique, une région menacée par le terrorisme international. Je crois que cela représente un des défis les plus lourds à relever afin de construire la ceinture économique de la Route de la soie.

Sur la base de ces quelques faits, on peut voir que la société éthiopienne connaît un changement rapide dans tous ses aspects et c’est pourquoi le pays est devenu une des destinations préférées pour l’investissement direct de la part d’étrangers en Afrique.

Une main-d’œuvre jeune et facile à former, un système politique stable, une société en plein changement qui, en nombre, représente la deuxième économie du continent, tout cela est, nous le croyons, le meilleur contexte pour attirer ceux qui aimeraient investir à long terme. L’effort de l’Éthiopie pour rallier la communauté internationale dans la Nouvelle route de la soie, se fonde sur cette préparation approfondie.

Chers amis,

L’Éthiopie considère le projet OBOR de la Chine comme une étape historique capable de contribuer à son développement et à celui de tous les pays de notre région. Étant donné que la décennie écoulée a vu le renouveau du commerce entre l’Afrique et l’Orient, nous estimons que le projet OBOR contribuera à consolider les bénéfices mutuels d’un commerce accru entre nations. Cela s’appliquera également aux relations entre l’Éthiopie et ses partenaires traditionnels. Le fait que l’investissement direct de la part de l’Europe et des États-Unis a été un vecteur du développement économique rapide du pays est une autre preuve que des relations mutuellement bénéfiques peuvent engendrer un résultat indubitablement positif.

Enfin, j’aimerais conclure en disant que depuis l’adoption d’une nouvelle politique économique il y a 25 ans, on a fait un long chemin. On a été capable d’atteindre des taux de croissance à deux chiffre pendant une décennie ; de mettre en œuvre des institutions majeures de gouvernance ; d’augmenter de façon significative notre contribution à la paix régionale et continentale et d’entreprendre la création d’un vaste réseau d’infrastructures au service de l’intégration régionale. Nous n’ignorons pas que le chemin devant nous sera aussi rocailleux car nous devront surmonter l’impact négatif du changement climatique. Et tant que pays, l’Éthiopie est déterminée à réaliser sa vision pour devenir un pays à revenu intermédiaire d’ici 2025.

A cette fin, nous allons lutter durement pour renforcer et nourrir notre démocratie naissante, notre paix et notre stabilité régionale. Nous puisons notre inspiration des grandes réalisations accomplies depuis 25 ans et nous nous préparons à améliorer encore plus notre compétitivité dans le cadre mondial actuel. Avec nos pays voisins de la région, nous sommes déterminés à atteindre une renaissance éthiopienne, et au-delà africaine, capable d’incorporer les nouvelles possibilités qu’apportent des développements tels que la Nouvelle route de la soie.

Je vous remercie.

Source:http://www.solidariteetprogres.org/Bereket-Simon-avenir-Ethiopie-dans-contexte-nouvelle-route-soie.html

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